Les crimes coloniaux n'avaient pas besoin de justificatifs, l'historienne Claire Mauss-Copaux en fait la démonstration
HuffPost Algérie | Par Ghada Hamrouche
La repentance n'avance rien peut-être mais la reconnaissance des crimes coloniaux est indispensables autant pour les victimes que pour leurs bourreaux. C'est la conclusion à laquelle est arrivée la chercheuse en histoire Claire Mauss-Copeaux.
Invité du SILA, la chercheuse a concentré son intervention sur l'objet de ses dernières recherches. "La source. Mémoires d’un massacre : Oudjehane, 11 mai 1956". La chercheuse entame son travail de presque rien. Une rencontre avec un soldat qui était rattaché au bataillon qui a mené cette cette expédition.
Face à son ordinateur, André, car c'est de lui qu'il s'agit, n'arrive pas à se débarrasser de ce doute persistant: ses copains ont-ils perpétré un massacre il ya bientôt 60 ans? A L'autre bout de la méditerranée, un jeune enseignant d'El Ancer, près d'El MILia accepte d'en parler avec cet ancien soldat de l'armée coloniale.
Claire Mauss-Copaux se joint au duo et tout s'enclenche.
La Source, dernière recherche de Mauss-Copeaux relate un événement précis de la guerre d’indépendance algérienne : le massacre de soixante-dix-neuf personnes (hommes, femmes et enfants) à Oudjehane, village de la presqu’île de Collo, à proximité d’El Milia, commis par le 4e bataillon des chasseurs à pied (BCP) le 11 mai 1956.
A Oudjhane "il n'y a jamais eu d'insurrection. Il n'y a jamais eu d’embuscade, ni de règlement de compte; Alors qu'est ce qui expliquerait cette horreur? ", s'interroge l'auteur en présentant son livre au SILA. "Bien sur que rien ne justifie ces crimes coloniaux ni les expéditions punitives mais les gens ont besoin de comprendre. J'avais aussi ce besoin : pourquoi Oudjhane? Pourquoi mai 1956?" a expliqué Claire Mauss Copaux.
Comme pour ses travaux antérieurs, l’auteure s'appuie sur des sources orales. Elle s’intéresse d’abord à l’établissement des faits. Ce 11 mai 1956, jour de l’Aïd es-Seghir qui clôture le mois de ramadan, qu’est-il donc arrivé aux gens d’Oudjehane ?
Dans le journal La Dépêche de Constantine du 12 mai il s’agit d’un "Brillant succès des forces de Pacification" : "Alors qu’elle effectuait une opération de contrôle dans une mechta du douar d’El Anceur, une section de parachutistes a été attaquée par une bande rebelle appuyée par la population. Le combat a été très violent, allant jusqu’au corps à corps. Les militaires ont eu un tué et un blessé, 79 rebelles ont été abattus."
Dans ces récits il y a au moins un point dans ce récit qui saute immédiatement aux yeux de ceux qui ont l’habitude de parcourir ces documents : l’absence d’armes récupérées sur les "rebelles". C’est ce qu’a remarqué aussi André, un appelé du 4e BCP, resté ce 11 mai au poste : "Les copains sont rentrés d’opération. Ils n’ont rien dit. Quand j’ai lu La Dépêche de Constantine le surlendemain, quand j’ai vu qu’aucune arme n’avait été récupérée, j’ai tout de suite pensé à un massacre"
Farfouillant dans les archives militaires français, Claire Mauss-Copeaux, entrecroise écrits et témoignages des descendants des victimes pour faire la lumière sur ce sinistre événement. Un réel apport de connaissance historique sur un événement méconnu jusque-là. L'auteure ne manque pas de souligner son incapacité à établir une chronologie infaillible des faits. "On ne saura probablement jamais si le coup de feu qui a tué le soldat français (vraisemblablement un accident) a précédé ou plutôt suivi le massacre", explique-t-elle au cours de sa conférence.
En élargissant ses recherches, elle parvient à inscrire le massacre d’Oudjehane dans une série de six massacres accomplis par le 4e BCP au cours de l’année 1956. Apparaît ainsi la rationalité sous-jacente à ces massacres, qui "n’étaient pas des accidents mais des “opérations” extrêmes, intégrées dans le système répressif mis en place par les autorités militaires et couvertes par les autorités politiques".
Mauss-Copaux rappellera que les chefs militaires n'arrivait toujours pas à digérer le fait que Zighoud Youssef, chef militaire de la région et organisateur de l’insurrection du Nord-Constantinois du 20 août 1955, n'avait été ni capturé ni tué. Chose qui aiguisait la haine et rendait la répression plus féroce.
L’originalité du travail de la chercheuse française, comme l'a souligné l'historien algérien Fouad Soufi, est que pour la première fois, auteurs et victimes avaient des noms et des visages. "Une reconstruction minutieuse de faits qui éclaire sur l'ampleur de la répression menée par l’armée française en Algérie et sur les formes de violence déployées au quotidien notamment envers les femmes".
Cette reconstitution des faits est aussi une étude originelle des mémoires du massacre, celles des gens d’Oudjehane qui l’ont subi et celles des vétérans français.
L'auteure met en relief la différence entre les mémoires des vétérans français et celles des villageois d’Oudjehane. Si les uns s’accrochent majoritairement "comme des noyés à la planche" à une posture de "faux amnésiques", les survivants du village "se souviennent du 11 mai 1956 et tiennent à s’en souvenir".
Leur mémoire est "vivante", écrit Claire Mauss-Copeaux dans son livre édité en Algérie par Media-PLus, alors que celle des vétérans est souvent "morte", fossilisée dans les rituels des rencontres entre ceux qui ont fait la guerre d'Algérie. Faire parler les uns et les autres relevait du véritable exploit.
"Doukha et Aziza, restées seules avec l’historienne", vont finalement livrer leur histoire. Celle des violences endurées mais aussi celle de leur naissance à la politique. C’est à elles, que Mauss-Copaux a dédié ses recherches. Et c'est à elles qu'elle a rendu hommage au terme de sa conférence à Alger.
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